La feinte du siècle (spéciale débarquement)

La feinte du siècle


"Dîtes les gars, où est-ce qu'on débarque ?"

Comment ne pas parler de la journée d'hier et des 75 ans du débarquement en Normandie ? Si les yeux et les oreilles du monde sont focalisés ces jours-ci sur les plages d' Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword Beach, il existe un temps d'une rare créativité que nous connaissons moins bien : l'Opération Fortitude South. Ce modeste résumé est une forme d'hommage à ce qui est assurément une explication centrale du succès du D-Day.

Faire "pour de vrai avec du faux"

Afin de leurrer les forces militaires allemandes, les Alliés décident sous l'impulsion du London Controlling Session, unité des renseignements britaniques, de créer une stratégie de désinformation à grande échelle avec notamment l'Opération Bodyguard dont fait partie l'Opération Fortitude South. Cette dernière a pour objectif de faire croire à l'armée ennemie que le débarquement des forces alliées s'effectuera par le Nord-Pas-de-Calais. Dès lors, tout est mis en oeuvre pour que cette attaque puisse être vraissemblable. A ce jeu, les Alliés n'ont pas manqué d'ingénuosité pour simuler 11 divisions militaires factices. S'en suit la création et l'installation dans le comté du Kent de chars gonflables, batteries d’artillerie en caoutchouc, 200 navires n'ayant que la flottaison comme fonctionalité, faux terminaux pétroliers, fausses infrastructures et plusieurs dizaines d'escadrilles de faux chasseurs…

"Et un char pour la table 5, un !"


Au-delà de créer ces faux éléments et pour renforcer l'impression de mouvement, une activité portuaire est simulée avec la circulation de camions sans chargement et des milliers de télégrammes pré-enregistrés sont envoyés en parallèle d'un travail remarquable des agents doubles pour confirmer la piste d'une attaque. "Sherry on the cake", il faut un haut gradé militaire pour renforcer l'image de cettte fausse manoeuvre. Le Général Américain Patton, bête noires des forces allemandes prendra ce rôle.

Tout est réuni pour que cette supercherie soit crédible. Hitler est convaincu que le débarquement se fera par cette zone, et ce ne sont pas moins de 200 000 soldats allemands qui restent dans la région de Calais alors que 100 000 sont présents dans le Cotentin et la région de Caen à l'aube du 6 juin 1944. Au lendemain du débarquement, Hitler restera même convaincu que le débarquement sur les plages normandes est un leurre et que l'offensive viendra de nouveau par le Nord de la France.

Au-delà dont cette histoire est romancée, et dont seulement 300 personnes avaient été mises dans la confidence, il reste important de souligner qu'elle ne s'est pas faite sans pertes humaines. La crédibilisation d'un potentiel débarquement par le Nord ayant amené les Alliés à intensifier les frappes sur le Pas-de-Calais coutant la vie à de nombreux civils.

La puissance de la projection pour "se faire une idée"

Faire semblant, faire croire, faire imaginer sont des moyens de se faire une idée d'une solution complète et accomplie. Ils permettent à une audience de se projeter dans une histoire et d'avoir une idée en tête. Dans le cas ci-présent votre audience est une armée allemande avec Hitler à sa tête (ce genre de situation n'arrive pas tous les jours fort heureusement), et votre intention les faire se projeter dans un potentiel débarquement. Du coup les moyens mis en oeuvre sont à la même mesure que l'enjeu. A une bien bien bien moindre échelle (qu'on se mette tout de suite d'accord), cette situation est similaire à celle de tout entrepreneur qui démarre avec une idée ou un concept : réussir à faire se projeter son auditoire dans la compréhension de ce que lui entreprend.

Notre cerveau a cette capacité à imaginer loin avec précisions, à se raconter des histoires potentielles, à aller dans le futur et à s'y sentir conforté. Lorsque vous êtes face à une représentation d'une solution ou d'un prototype vous vous racontez une histoire, vous imaginez un usage. Cette mécanique est autant une force nécessaire pour faire avancer des idées et trouver des soutiens (partenaires, clients, investisseurs) que pour brouiller les pistes. C'est souvent ce en quoi les arnaqueurs sont très forts : mettre les conditions et les bases d'un récit. Mais comme dans toute logique de vice, tout dépend de l'utilité finale, et l'on n'en voudra pas à Churchill et consorts d'en avoir usé aussi habilement que pour Fortitude South !

Encore un p***** de merci à celles et ceux qui ont donné de leur personne voici 75 ans 🙏

Gauthier

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